Election présidentielle de 2020, crise Pdci-Rhdp, gouvernance Ouattara, crise au Fpi, tensions à l’éducation nationale, environnement des affaires etc., l’ex-ministre Jean-Louis Billon, secrétaire exécutif du Pdci-Rda chargé de la communication, de l’information et de la propagande, n’a pas mis de gants pour étaler ses vérités sur tous ces sujets.
Notre Voie : Le dimanche 2 juin dernier, le Président du Sénat, Jeannot Ahoussou-Kouadio, Vice-Président du Pdci-Rda, a officiellement annoncé à Didiévi, son départ du Pdci pour le Rhdp. Un départ après ceux d’autres poids lourds tels que Daniel Kablan Duncan, Charles Diby Koffi, Kobenan Adjoumani, Aka Aouélé etc. Comment avez-vous vécu cette situation au Pdci ?
Jean-Louis Billon : Cette annonce n’était pas une surprise pour nous. Que ce soit le Président du Sénat ou tous ceux qui l’ont précédé au Rhdp, ce n’était pas une surprise puisque toutes les personnalités que vous avez citées avaient pris fait et cause pour le Rhdp-parti unifié lors du Bureau politique du Pdci-Rda. C’est dans cette logique qu’elles ont rejoint le Rhdp. Nous savions déjà depuis un an que ces personnalités n’étaient plus avec nous. Au niveau du Pdci, nous continuons sans elles et le Pdci n’en est nullement fragilisé. Ce ne sont pas une, deux ou dix personnes qui constituent la vie d’un parti politique : c’est l’ensemble de ses militants.
Mais ces personnes parties sont des poids lourds du Pdci-Rda qui ont quitté le navire…
Le navire ne fera que flotter mieux et aller plus vite (rires).
Le Pdci-Rda ne se remet-il pas en cause par rapport à ces départs en cascade ? N’a-t-il pas sa part de responsabilité dans tout cela ?
Non, le Pdci n’a aucune part de responsabilité dans cette situation. Le Pdci est un parti politique qui a son idéologie et son esprit. Soit vous y adhérez, soit vous n’y adhérez pas. Personnellement, je ne leur reproche pas d’être partis. C’est leur liberté d’opinion qui s’exprime. C’est ce qui fait la beauté de la démocratie. Ce sont des personnes qui ont décidé de croire en un autre parti politique. Tant mieux ! C’est vraiment sans rancune et sans effet sur la vie du Pdci-Rda. Le parti les savait déjà littéralement mis entre parenthèses.
Jeannot Ahoussou-Kouadio a fait son annonce à Didiévi devant de nombreuses personnes dont des militants du Pdci-Rda. Didiévi étant perçu comme une zone favorable au Pdci et Ahoussou en était le leader local. Son départ ne peut-il a pas avoir des conséquences ?
Il y a des militants du Pdci-Rda dans toute la Côte d’Ivoire. Nous prenons acte du départ d’Ahoussou et nous avançons. C’est tout. Pourquoi voulez-vous que nous soyons émus outre mesure ?
Ceux qui ont quitté le Pdci étaient des figures importantes du parti dans leurs régions respectives et au plan national…
Pas pour nous. Les figures importantes du Pdci sont au Pdci. Si vous quittez le Pdci, vous êtes une figure importante pour d’autres, plus pour le Pdci. Les figures importantes sont nos militants ; ce ne sont pas les supposés importants qui font le Pdci ; c’est la base.
Dans une récente interview qu’Ahoussou-Kouadio a accordée à mes confrères de l’hebdomadaire Jeune Afrique, il mettait à l’index la gestion du Pdci-Rda par Henri Konan Bédié. Une gestion qu’il perçoit comme trop coercitive qui ne privilégie pas le dialogue constructif. Qu’en pensez-vous ?
Nous nous sommes retrouvés dans un Bureau politique puis à un Congrès. Les questions ont été posées aux membres du Bureau politique et aux militants du Pdci. Les militants ont choisi. C’est par vote, par acclamation, que nous avons décidé des choix qui sont les nôtres. Il n’y aucune coercition là-dedans. Bien au contraire, c’est la démocratie pure. On ne vous menace pas de rester au Pdci. On ne vous menace pas de perdre votre poste pour tel ou tel choix politique.
Dans la crise qui oppose Bédié à Ouattara, par ricochet le Pdci au Rhdp, avec du recul, quelle est la part de responsabilité du Pdci ?
On ne se reconnait aucune part de responsabilité dans cette crise. Nous avons simplement décidé de conserver notre parti politique. Aujourd’hui, le Rhdp est un parti politique à part entière. Il a absorbé et phagocyté d’autres partis politiques dont le Rdr qui n’existe plus. Le Pdci est né très longtemps après le Rda. Et nous comptons transmettre le Pdci-Rda aux générations futures. C’est un parti politique qui fait corps avec l’histoire de la Côte d’Ivoire et même de l’Afrique occidentale. Pour nous, il est hors de question que le Pdci-Rda se saborde pour se fondre dans un autre parti politique. Il n’y a pas de querelles. C’est une question de choix. Quelle responsabilité voulez-vous reconnaître au Pdci qui décide d’exister ?
Il y a un problème autour de l’interprétation de l’Appel de Daoukro lancé en septembre 2014. Celle du Rdr est totalement différente de la vôtre. Qu’a dit exactement cet Appel à propos de 2020 entre le Pdci et le Rdr ?
Le Président Henri Konan Bédié, lors de l’Appel de Daoukro, a clairement dit «qu’étant entendu que l’alternance jouerait en 2020, nous soutenons le candidat Alassane Ouattara». Le Président Bédié étant le Président du Pdci-Rda, quand il parle d’alternance en 2020, au profit de qui voulez-vous qu’il parle ? Evidemment du Pdci-Rda.
Mais le Président Alassane Ouattara vous rétorque qu’il n’y a jamais eu d’engagement dans ce sens…
Le Président Bédié, quant à lui, a pris un engagement envers les militants du Pdci-Rda. C’est cela qui a conduit les militants à accepter l’Appel de Daoukro à l’époque. Vis-à-vis des militants du Pdci, le Président Bédié est donc droit dans ses bottes. Et puis, de toutes les façons, le débat ne se pose plus vu que nous sommes séparés aujourd’hui. Ce débat n’existe plus pour nous. Le Pdci aura son candidat en 2020 et nous nous attelons à cela. Ce sera aux Ivoiriens de décider pour qui jouera l’alternance.
Pour certains responsables du Rhdp-parti unifié vous constituez avec le Secrétaire exécutif en chef du Pdci-Rda, Maurice Kakou Guikahué, et l’ancien maire du Plateau, Noël Akossi Bendjo, aujourd’hui exilé en France, les faucons autour du Président Henri Konan Bédié qui radicalisent ses positions. Que répondez-vous à ces accusations ?
En toute honnêteté, pensez-vous que vu l’expérience du Président Henri Konan Bédié, trois personnes seraient en mesure d’orienter ses avis ? Très sérieusement ?!
Vous n’avez jamais suggéré de positions maximalistes à Henri Konan Bédié dans ses rapports avec Alassane Ouattara et le Rhdp ?
Pas du tout. Honnêtement, jamais. Je pense que ces personnes se trompent tout simplement parce que le Président Henri Konan Bédié et nous, sommes sur la même longueur d’onde. Il est le garant des intérêts du parti et nous l’accompagnons dans cette sauvegarde des intérêts du parti. Ceux qui prétendent que nous sommes des faucons sont des personnes qui ont fait des va et vient entre Abidjan et Daoukro pendant des mois pour convaincre le Président Henri Konan Bédié de changer de position.
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A qui faites-vous allusion ?
A tous ceux qui sont allés à Daoukro. Les personnes que vous avez citées. Les poids lourds…
Daniel Kablan Duncan, par exemple ?
Je parle des poids lourds que vous avez cités sans exception. Ils sont plusieurs. Ils n’ont eu de cesse de faire des va et vient entre Abidjan et Daoukro. Nous n’étions pas présents.
Selon leurs proches, ils ont fait ces voyages pour qu’il y ait la paix entre Ouattara et Bédié…
Ils ne sont pas arrivés à convaincre le Président Bédié. Il ne faut donc pas s’en prendre à nous en affirmant que nous sommes ceux qui ont donné des positions maximalistes au Président Bédié. Non ! Et puis, il n’y a aucune position maximaliste dans le fait de vouloir conserver l’identité de son parti politique. Soit nous sommes dans une démocratie, soit nous sommes sous une dictature.
Quels sont vos rapports avec le Chef de l’Etat, Alassane Ouattara, depuis votre sortie du gouvernement ?
Je le respecte en tant que Chef de l’Etat de la Côte d’Ivoire. Je l’ai toujours respecté et je suis dans cette position. Il a ses choix politiques et moi, en tant que démocrate, j’ai les miens. Il n’y a rien d’anormal dans cette situation.
Votre départ du gouvernement a suscité, en son temps, beaucoup de commentaires. Dites-nous, aujourd’hui, pourquoi avez-vous été limogé du gouvernement ?
Vu la configuration politique d’aujourd’hui, en toute honnêteté, je ne serais pas resté dans un gouvernement Rhdp. A partir du moment où le Pdci et le Rhdp sont en désaccord, je serais sorti du gouvernement. Je fais partie de ceux qui ont souhaité sortir du gouvernement. Je ne comptais pas y rester.
Vous avez donc démissionné, c’est cela ?
Non, je n’ai pas démissionné. J’ai attendu simplement qu’on me sorte. J’ai fait comprendre que je m’ennuyais au gouvernement.
Qu’est-ce qui vous ennuyait au gouvernement ?
C’était la redondance et le manque de moyens réels pour travailler ainsi que certains freins au quotidien. Je me sentais inutile au sein du gouvernement ; donc quand c’est comme ça mieux vaut partir plutôt que d’accepter l’usure. Et c’est sans aucun regret.
Votre évincement de la tête du Conseil Régional du Hambol n’a-t-il pas motivé vos récriminations contre le pouvoir ?
Mes prises de position étaient antérieures à tout ça et elles sont connues de tous. J’ai toujours eu le courage de mes actes et de mes opinions. On m’a sorti de façon illégale du Conseil Régional du Hambol. C’est un acte anti-démocratique et anti-constitutionnel. Cela a commencé par moi et s’est poursuivi avec le Maire du Plateau (ancien maire Akossi Bendjo, ndlr). Puis il y a eu le climat électoral qu’on a vu aux régionales et aux municipales où la loi a été bafouée à maintes reprises. La Côte d’Ivoire s’éloigne de l’Etat de droit et les gains démocratiques que nous avons obtenus, depuis quelques années, sont perdus. Aujourd’hui, le déficit de démocratie en Côte d’Ivoire est criant. C’est la première fois en Côte d’Ivoire que l’on fait partir ainsi des élus de façon artificielle.
On pourrait vous répondre que vous parlez pourtant librement sans être inquiété…
J’ai toujours parlé librement parce que j’ai toujours dit la vérité. Et quand on dit la vérité, on ne peut pas être inquiété.
Comment jugez-vous l’allégorie du «tabouret» selon laquelle celui qui n’est pas au Rhdp doit quitter le haut poste qu’il occupe dans la sphère de l’Etat ?
Je dirais que c’est surtout pathétique de résumer la vie politique et le devoir que l’on a envers les Ivoiriens à ce genre de réalité. Menacer des élus de perdre leurs postes s’ils n’adhèrent pas à une idée politique est pitoyable et ne correspond pas à l’idée que je me fais de la vraie démocratie. La Côte d’Ivoire a aujourd’hui un déficit de démocratie, et c’est inquiétant.
Le Pdci-Rda, votre parti, s’active pour l’élection présidentielle de 2020 et son retour au pouvoir qu’il a perdu par le coup d’Etat de décembre 1999. Il croit que cette fois-ci pourrait être la bonne. Qu’est-ce qui fonde cette conviction ?
D’abord, la logique de tout parti politique, c’est d’accéder au pouvoir d’Etat. Donc il est normal que le Pdci se prépare pour remporter l’élection de 2020. Ensuite, la très grande majorité des Ivoiriens vit une désillusion et une déception sans précédent. Les attentes étaient très grandes quand la coalition Rhdp a pris le pouvoir d’Etat. Beaucoup de promesses ont été faites et peu ont été tenues. Or le quotidien des Ivoiriens est extrêmement difficile. De ce fait, ce qui motive aujourd’hui les Ivoiriens dans le choix de leurs dirigeants, c’est celui qui va le mieux répondre à leurs préoccupations. Le système éducatif est en pleine crise, par exemple. Et le gouvernement engage un bras de fer avec les enseignants en oubliant l’essentiel, à savoir l’éducation des enfants. Ce n’est pas une querelle entre enseignants et gouvernement qui est importante, c’est l’éducation des enfants. Aujourd’hui, il y a un climat d’injustice ressenti par les Ivoiriens. Le peuple ivoirien veut le changement. Et les Ivoiriens voteront pour le changement en 2020. Le Pdci est la meilleure alternative pour les Ivoiriens en 2020. Nous y croyons.
Quel sera le ticket du Pdci pour la présidentielle de 2020, est-ce Bédié-Jean Louis Billon, Bédié-Gnamien N’Goran ou Bédié-Thierry Tanoh ?
Aucune décision n’a encore été prise au niveau du parti. Je ne saurais vous répondre. Nous aurons une convention qui règlera la question.
Quand aura-t-elle lieu ?
Elle se tiendra le moment venu avec le choix de nos candidats.
Etes-vous candidat à la candidature du Pdci pour 2020 ?
La convention ne s’est pas encore tenue. Sachez une chose, le Pdci-Rda est un parti structuré et discipliné. Nous avons un président de parti et traditionnellement le Pdci présente son président comme candidat. Sauf si le président en décidait autrement. Nous ne sommes donc pas en quête de candidats.
Avez-vous évoqué la question de la candidature de Bédié en 2020 avec lui ?
Non, jamais.
Vous évitez de le faire par pudeur ou par crainte de le froisser ?
Non pas du tout. Nous en parlerons au moment venu.
Certains observateurs estiment que le Président Bédié ne peut pas ainsi s’investir dans la bataille contre son ancien allié, le Président Ouattara, s’il ne peut pas être candidat en 2020. Pour eux, il ne peut qu’œuvrer pour sa propre cause. Qu’en pensez-vous ?
Les mêmes observateurs disent la même chose du Président Ouattara.
Pensez-vous qu’Alassane Ouattara sera également candidat en 2020 ?
Je n’en sais rien du tout.
Vous avez été son ministre. Est-ce qu’à l’époque, vous en avez entendu parler ?
J’avoue que je n’en ai entendu parler ni hier ni aujourd’hui.
Bédié, Ouattara et Gbagbo doivent-ils être candidats pour la présidentielle de 2020. Quel est votre opinion sur la question ?
Je ne m’en inquiète pas parce que la relève arrivera de toutes les façons en Côte d’Ivoire. Mon avis ne compte pas. C’est plutôt celui de la grande majorité des Ivoiriens qui est important. La beauté de la démocratie, c’est que vous êtes libre de choisir qui vous voulez. Je fais partie avec d’autres de la relève et nous allons servir la Côte d’Ivoire. C’est une équipe qui va servir la Côte d’Ivoire. Il ne faut pas se focaliser sur un homme. Un homme n’arrive à rien tout seul. C’est un travail d’équipe qui va faire réussir la Côte d’Ivoire.
C’est une équipe derrière Bédié, candidat à la présidentielle de 2020 ?
(Rires) Vous me reposez autrement la question. Le Président Bédié lui-même l’a dit : il y aura une convention. Alors soyez patient, vous connaitrez en temps utile le candidat du Pdci-Rda.
Le nouveau Président de l’Assemblée Nationale, Amadou Soumahoro, a été élu dans un contexte de boycott du scrutin par les députés de l’opposition. Quel commentaire faites-vous de cette crise qui fait suite à celle liée à la démission rocambolesque de Guillaume Soro ?
En langage informatique, on dit « garbage in, garbage out » (déchet à l’entrée, déchet à la sortie). A partir du moment où l’Assemblée Nationale a été manipulée pour que Guillaume Soro soit forcé à démissionner et la manière dont il est parti ne peut pas garantir la stabilité à l’Assemblée Nationale. Donc déficit démocratique égal instabilité à l’Assemblée Nationale. C’est tout.
Le jeudi 21 mars 2019, le fondateur du Fpi, le Président Laurent Gbagbo, et Pascal Affi N’Guessan, le Président de ce parti, devaient se rencontrer en Belgique. Cette rencontre n’a pas eu lieu et la situation a visiblement amplifié la crise au sein du Fpi. Quel regard portez-vous sur ce qui se passe chez vos nouveaux alliés politiques ? La réconciliation est-elle possible au Fpi et à quelles conditions ?
La réconciliation est toujours possible. Au moment où nous tenons cette interview, c’est la commémoration du débarquement des alliés pour combattre l’Allemagne nazi lors de la seconde guerre mondiale. Cette grande guerre que le monde a connue, il y a 75 ans, s’est traduite ensuite par une réconciliation. Les ennemis d’hier sont aujourd’hui, les meilleurs alliés du monde. Et pourtant, il y a eu des dizaines de millions de morts. Donc ce ne sont pas nos petites querelles locales qui ne vont pas trouver la voie de la réconciliation. La réconciliation est possible. Les différents acteurs au Fpi vont finir par s’entendre.
Une délégation du Pdci-Rda conduite par son Secrétaire exécutif en chef, Maurice Kakou Guikahué, a rencontré récemment Laurent Gbagbo en Belgique. La direction du Fpi, avec Affi N’Guessan, s’est plaint que son allié, le Pdci, ne lui ait rien dit à propos de cette visite. Ni à l’aller ni au retour. Que répondez-vous ?
Je ne pense pas qu’il faille mal prendre les choses. Le Pdci rencontre Laurent Gbagbo. Le parti n’est pas tenu de raconter sa vie à tout le monde. Au moment où nous parlons, le Pdci rencontre d’autres acteurs politiques. Tout cela rentre dans la logique des activités du Pdci-Rda.
Le Fpi et Pascal Affi N’Guessan se sont irrités parce que le communiqué final sanctionnant cette rencontre et signé par le Pdci a présenté Laurent Gbagbo comme Président du Fpi…
Qu’on le veuille ou non, le fondateur du Fpi, c’est le Président Laurent Gbagbo. On ne peut pas lui enlever cela. C’est un peu comme si quelqu’un s’offusquait aujourd’hui qu’on parle du Président Félix Houphouët-Boigny comme étant le Président-Fondateur du Pdci-Rda. Je crois qu’il n’y a pas de colère à avoir. Houphouët est le Président d’origine du Pdci-Rda et il reste notre référent. Tout comme Gbagbo reste le référent au Fpi. Nous-mêmes au Pdci, reconnaissons à Laurent Gbagbo, le caractère de père de la démocratie en Côte d’Ivoire puisqu’il a lutté pour l’obtention de la démocratie et le multipartisme en Côte d’Ivoire.
Où en êtes-vous avec la plate-forme de l’opposition qui doit rassembler le Pdci, le Fpi et d’autres formations politiques ?
Il y a toujours des rencontres régulières. Il faut savoir que nous avons l’objectif commun qui est de changer, à partir de 2020, la manière dont le pays est géré.
La réforme de la Commission Electorale Indépendante (CEI) constitue pour les acteurs politiques notamment ceux de l’opposition, un enjeu important. Pour qu’elle soit véritablement perçue comme indépendante, certains acteurs estiment qu’elle doit être dirigée par la société civile, d’autres n’y souscrivent pas. Quel est votre position sur la question ?
Je pense qu’il faut, pour nos institutions qui régulent notre démocratie, être tout simplement de bonne foi. Trop d’acteurs pensent en termes de conservation ou de conquête du pouvoir. Concernant la CEI, on doit penser de la manière la plus neutre possible et obtenir une institution qui crédibilise les élections. En pensant CEI, il ne faut pas penser à nos partis politiques ou à nos leaders politiques. Il faut vraiment penser à l’instrument de garant d’élections démocratiques que cette institution doit être.
L’école ivoirienne est en grande crise. Que faut-il faire pour l’en sortir ?
Je ne peux proposer de solutions comme cela, de façon lapidaire. Mais une chose est certaine, c’est que le système éducatif ivoirien, depuis la petite enfance à l’Université, doit connaître une réforme en profondeur. Il faut repenser le système éducatif ivoirien. Cela doit être la première préoccupation pour les Ivoiriens.
Faudra-t-il organiser les Etats généraux de l’éducation, par exemple ?
Non, pas des Etats généraux. C’est vraiment le rôle des acteurs de l’éducation nationale de proposer une réforme qui colle aux réalités nationales et internationales. Et là, c’est l’acteur économique qui parle. Il ne faut pas continuer à former des milliers de BTS dont on n’a pas besoin et dont on doute. On ne peut pas continuer à avoir des filières surpeuplées alors que les débouchés n’existent pas. Il faut repenser l’éducation nationale en Côte d’Ivoire.
Le Chef de l’Etat, Alassane Ouattara, a placé l’année 2019 sous le sceau du social, vous qui avez été membre du gouvernement, la Côte d’Ivoire a-t-elle les moyens de relever un tel défi ou doit-on mettre cela sur le compte d’une promesse politique sans lendemain ?
Quand il y a la volonté politique, tout est possible. La Côte d’Ivoire a les moyens de faire plus de social. Donc, oui, c’est possible. Le problème dans notre pays qui empêche de faire plus de social, et je le dis en toute honnêteté, c’est la mal gouvernance de nombreux acteurs politiques. Le Chef de l’Etat, malheureusement, pour lui, est trop souvent entouré de collaborateurs qui pensent à eux-mêmes d’abord, avant de penser à l’intérêt général. Cela handicape fortement ses résultats.
Vous êtes également un important acteur économique, l’environnement des affaires en Côte d’Ivoire peut-il conduire le pays vers l’émergence tant évoquée ?
L’émergence n’est pas seulement économique. Elle est également institutionnelle, politique, technologique etc. Il y a donc un rôle important de l’Etat. Les acteurs économiques font leur part, mais pas dans un environnement totalement aseptisé qui favorise l’activité économique. Des efforts ont été faits pour améliorer l’environnement des affaires, il faut le reconnaître. Mais cela n’est pas suffisant. L’acteur économique que je suis, peut vous affirmer qu’on peut mieux faire, qu’on doit mieux faire. Malheureusement, de nombreux fonctionnaires n’écoutent pas les acteurs économiques. Le volet public, qui doit favoriser l’émergence, est trop bridé par les comportements de la mal gouvernance.
A vous entendre, la fluidité dans les relations Public-Privé n’existe pas pour permettre aux affaires d’aller efficacement de l’avant en Côte d’Ivoire. C’est cela ?
L’osmose qui devrait exister entre les acteurs économiques nationaux et leur Etat n’existe pas.
Les acteurs économiques ivoiriens se plaignaient depuis la fin de la crise post-électorale 2010-2011 de n’avoir pas été dédommagés par l’Etat alors qu’ils ont été également victimes de la crise à l’instar de leurs homologues français installés en Côte d’Ivoire etc. La situation a-t-elle changé ?
La situation demeure inchangée. Ce ne sont pas que les acteurs économiques qui sont les seuls concernés. Je pense qu’au sortir de la crise post-électorale, la question du dédommagement des victimes de la crise n’a pas été évoquée. Nous avons perdu beaucoup de biens, des capacités industrielles et commerciales. Il n’y a pas eu de processus d’évaluation ni de compensation ou de dédommagement. C’est vraiment dommage. Cela conduit même au déficit de réconciliation nationale vu que de nombreuses victimes de crise n’ont pas été prises en compte ni écoutées. Il aurait fallu que l’on s’asseye et se pardonne mutuellement pour repartir sur de nouvelles bases. Il ne faut pas que la réconciliation nationale soit perçue seulement comme une réconciliation d’acteurs politiques. Il faut arriver à réconcilier les Ivoiriens entre eux, à réconcilier les Ivoiriens avec la classe politique et à réconcilier les acteurs de la crise entre eux pour ne plus qu’on revive ce qu’on a vécu. Sinon, sans cohésion sociale, comment aller au développement et à l’émergence ?!
Entretien réalisé
par Didier Depry
didierdepri@yahoo.fr